Moi, dans la vie, je marche.
C'est d'ailleurs l'une des choses que je fais le mieux.
C'est facile, j'enfile mes grosses bottes
ou bien je glisse mes pieds dans mes belles gougounes oranges
pis j'm'en vais me promener.

Qu'y pleut, qu'y pleut pas,
Qu'y nous tombe des météorites s'a tête ou juste d'la neige,
J'y vais pareil.

Je rejoins les trottoirs peuplés de piétons sereins,
Je partage avec eux le no man's land de la cité.
D'un côté c'est la guerre des automobiles qui grincent sur le pavé, de l'autre ce sont les enseignes colorées et psychédéliques qui nous invitent à dépenser.
et pourtant, je suis sereine
Je serre contre ma hanche le petit paquet remplis des papiers qui résument ma vie et comme tout le monde, je marche vers mon but, ou mon non-but.

N'est-il pas dommage que tout le potentiel de notre liberté de vie commune soit confiné dans la largeur d'un trottoir?
C'est notre plancher commun, et pourtant nous ne faisons qu'y marcher.

no man's land des cités
cup de café
un bras levé qui quête comme un oisillon qui demande son repas
et des regards échangés rapidement
qui ont l'air de hurler
''es-tu de la même espèce que moi?''

Et je continue de marcher.
Je caresse de mes pieds la robe noire de la ville qui s'étire en crinoline de kilomètres de crevasses brûlantes et glissantes. Mais quand j'ai les jambes fatiguées et que je dois sortir de la ville pour aller acheter du papier de toilette au Costco, ben je grimpe dans mon char!

Moi, j'aime ça les chars.
C'est gros, c'est confortable,
ça brille au soleil comme un gros scarabée chromé.
Ça sent le cuir, le café, les cigarettes frettes et le vomi de bébé, séché.

Moi j'aime ça les chars.
Ça va vite, t'as pas le temps de voir les craques dans l'asphalte.
Pis tu lis les pancartes, ô éloges de la beauté humaine.

Chambre à louer! On est partis à cause des punaises de lit.
Buffet à volonté pour seulement vingt-cinq piasses! Plus les taxes. Pis une diarrhée.
Brault et Martineau! Viens t'acheter une belle laveuse flambant neuve avec une promotion sur la Petite Parisienne, pour des vêtements plus blancs que le filet de sole en rabais dans ta poissonnerie de quartier.

Moi, j'aime ça les chars.
J'me sens comme dans mon salon.
Comme dans mon salon où j'ai invité dix milles trous d'cul
                                                                             trous d'exhaust
Qui pètent et qui chient et qui chantent et qui rotent et qui rient
enlignés en file indienne
le cul collé su'l capot collé su'l cul collé su'l capot collé su'l cul plein d'capotes
                                                                                                                 Capote pas!

Pendant que je m'engraisse les fesses molles
Chauffées, éclairées, air climatisé dans l'nez,
Les pieds dans l'tapis et le volume avec
Boum. Boum.
Pour pas entendre le pépère en arrière gueuler parce que je roule pas ma mort assez vite.

Moi, j'aime ça les chars, mais quand j't'écoeurée, j'm'en retourne à pieds!

Je m'en vais traîner sur les trottoirs.
Je marche et je vois des bouches d'égout, bunker à merde, des craques, des bottes qui s'enfargent le nez dans les clôtures tout le tour de la place pour être sûr de bien séparer les escarpins des running shows miteux.
Je vois une champagnerie assise à côté du Café Rencontre.
                                                                                             what the fuck

Pis là je suis écoeurée de regarder à terre alors je lève les yeux vers le ciel, pour regarder les nuages.
Y'a toujours une couple de personnes qui vont se demander
''C'est quoi qu'a r'garde la fille, c'est-tu Superman?''
Ben non, j'regarde juste les buildings.
Les beaux buildings.
Au Moyen-Âge, le symbole phallique c'était l'épée.
Aujourd'hui, ce sont les buildings.
Je les regarde comme une grenouille regarderait une canette de pepsi échouée dans son ruisseau.
C'est pas d'ma faute, mais après avoir passé quinze ans de ma vie dans le bois, à côté de mes arbres, les grattes-ciel ont comme un air, étrange, pompeux, déplacé.

Le phare, phallus,
                            fout-moi la paix avec les dépenses!
Faut ben trouver de quoi à faire à notre belle jeunesse souriante et désoeuvrée.
Pis un endroit où les loger, en autant que tu puisses payer trois mille piasses de loyer.

J'regarde les buildings et je me dit qu'il faudrait tous les peinturer en forme de pénis.
Et là, seulement là, on aurait une bonne idée de la réalité.

C'est comme si depuis la révolution industrielle on avait voulu challenger Dieu en grimpant le plus haut possible.
Un gros fuck you en béton et en vies de travailleurs gâchées.

Heille, check ça comment j'suis capable d'empiler des blocs lego tellement haut que j'peux aller chatouiller les couilles du Seigneur!

Et je continue de marcher.

Le soleil se couche, les gouttières le long du toit des maisons pleurent gouttes à gouttes la neige fondue je m'en retourne chez nous.
Je vais me coucher en-dessous de mes couvertes et je m'endors dans le sous-sol de la phallocité.

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